Alimentation : peut-on ne pas gaspiller ?
On risque de s’habituer au scandale du gaspillage alimentaire et même de le justifier. Alors que le gaspillage des uns pourrait nourrir les autres. Interpellation et pistes d’actions par un éco-conseiller.
Gaspiller de la nourriture, moi ? Depuis tout petit, je rends grâces avant les repas et je finis mon assiette. J’ai hérité des gènes de sobriété de mes ancêtres agriculteurs mennonites et mon Eglise célèbre chaque année la fête des moissons (ou de reconnaissance). Jamais, je ne pourrai gaspiller de la nourriture !
Le responsable de cuisine collective qui jette des plats non consommés ne gaspille pas non plus : il applique la réglementation. Ni l’étudiant qui, à la veille des vacances, met à la poubelle des œufs qui ne seront plus bons à son retour ; qu’y peut-il si le supermarché les vend par six alors qu’il n’en mange que deux ou trois par semaine ? Et que dire de la maman qui se débarrasse de bananes noircies en soupirant : « Ah, si mes enfants mangeaient des fruits plutôt que des sucreries ! » Ou quand elle jette des yaourts dont la date limite est passée ? Elle a raison, il vaut mieux être trop prudent que pas assez, on ne sait jamais après les affaires de la vache folle et de steaks de bœuf à la viande de cheval. Enfin, pensons à tous les fruits et légumes qui restent sur l’arbre ou dans le champ parce qu’ils sont trop petits, trop gros, un peu tachés ou difformes : pourquoi le producteur les récolterait-il si la distribution refuse de les commercialiser ? Non, personne ne gaspille la nourriture… sauf parfois, quand il n’est pas possible de faire autrement.
Assez de nourriture pour tous !
Pourtant, une étude approfondie de la FAO(1) aboutit à cette conclusion effarante : un tiers de la nourriture produite dans le monde n’est jamais consommée ! Le triple de ce qu’il faudrait pour nourrir correctement le milliard d’entre nous qui souffre de famine ou de malnutrition ! Et en même temps, nous sommes aussi plus d’un milliard à manger trop, au point de souffrir d’obésité et d’autres maladies ! Ajoutons enfin qu’à la nourriture gaspillée correspond le gaspillage économique et écologique de toutes les ressources qui ont servi à la produire : les heures de travail, les surfaces agricoles, l’énergie, l’eau… et aussi des pollutions, des émissions de gaz à effet de serre, la déforestation pour gagner des espaces cultivables.
La première réflexion que m’inspire ce constat est que Dieu est fidèle dans sa bienveillance et sa générosité envers sa création : même aujourd’hui où nous sommes sept milliards, il y a assez de nourriture pour tous, et même bien plus ! Mais en négligeant son appel à la reconnaissance et à la responsabilité, nous en sommes arrivés à une situation absurde et insoutenable. En tant qu’enfants de Dieu désireux de lui être fidèles et de le faire connaître à nos contemporains, il nous appartient de comprendre les mécanismes de ce scandale, de nous mettre en question (et de reconnaître que nous sommes moins exemplaires que nous ne le pensions ?), et d’agir.
Trop !
Dans son petit livre « La grande (sur-) bouffe »(2), Bruno Lhoste résume le gaspillage par un mot : TROP ! Trop à toutes les étapes, du champ jusqu’à l’assiette : « La majorité d’entre nous mange trop ; nous cuisinons trop par rapport à ce que nous mangeons, nous achetons trop par rapport à ce que nous cuisinons ; les acteurs de la distribution nous offrent trop par rapport à ce que nous pouvons acheter ; les mêmes exigent de leurs fournisseurs, industriels comme agriculteurs, une production trop importante par rapport à leurs ventes ».
Action chez soi
C’est d’abord à la maison que nous pouvons agir. Le gaspillage alimentaire à domicile se chiffre en France à 72 kg par an et par habitant (dont sept kg de produits même pas déballés), soit presque 15 % de nos déchets. Pour gaspiller moins, il nous faut redécouvrir la valeur de la nourriture. Nous la trouvons principalement au supermarché, à profusion, sous forme standardisée et prête à consommer, et pour un prix qui ne cesse de baisser(3). Elle provient de tous les continents, mais nous n’avons aucune idée des circuits par lesquels elle nous parvient. Elle est ainsi devenue une marchandise banale, que souvent nous achetons selon les promotions plus que selon nos besoins, et que nous jetons facilement, comme nous le faisons pour bien d’autres choses.
Produire soi-même une partie de sa nourriture dans un jardin ou même sur un balcon, s’approvisionner auprès de producteurs locaux et échanger avec eux, (ré)apprendre à cuisiner (y compris les restes) sont des pistes pour changer notre regard sur la nourriture, la gaspiller moins et en prime, manger mieux. Indirectement, elles sont aussi une manière de contester les pratiques de l’industrie agro-alimentaire et de la grande distribution, dont le modèle économique favorise, voire organise, le gaspillage alimentaire à leur profit et en fait supporter le coût à ses partenaires, les producteurs en amont et les consommateurs en aval.
Notre régime alimentaire lui-même pose question. Manger de la viande est aussi une forme de gaspillage alimentaire : en effet, quelle logique y a-t-il à nourrir des animaux pendant des mois pour finalement en faire notre propre nourriture ? Pour produire une calorie de viande, il faut 3 ou 4 calories végétales si c’est du poulet, 5 à 7 pour du porc et même 9 à 11 pour du bœuf ! Voici donc une raison supplémentaire de réduire notre consommation de viande, dont les diététiciens et les médecins nous disent par ailleurs qu’elle excède largement nos besoins et menace notre santé.
Action dans la société
Les possibilités d’action au-delà de la sphère personnelle sont nombreuses au sein des Banques Alimentaires(4), des Restos du Coeur(5), des épiceries solidaires(6) et de bien d’autres initiatives moins connues. Le mouvement des « disco-soupes »(7) organise des fêtes publiques autour d’une soupe cuisinée à partir de rebuts et d’invendus : pour participer, chacun est invité à la préparation ou à la dégustation de la soupe, dans la convivialité et en musique. L’association « Partage ton frigo »(8) propose aux étudiants de mettre à disposition ce qu’il ne peuvent pas utiliser avant de partir en week-end ou en vacances, grâce à des réfrigérateurs collectifs et à leurs Smartphones. La « Tente des glaneurs »(9) organise la collecte des invendus des marchés, les met en valeur sur des stands joliment présentés et les redistribue à des personnes nécessiteuses. La DRAAF (10)Rhône-Alpes a lancé l’idée de « gourmet-bag »(11) pour encourager les clients des restaurants français à emporter chez eux ce qu’il n’ont pas pu manger sur place, comme cela se fait couramment dans de nombreux pays. En nous investissant de cette manière, et peut-être en inventant d’autres initiatives, nous luttons contre le gaspillage et favorisons le partage de la nourriture, mais nous participons aussi à sensibiliser le public et à faire évoluer les réglementations, qui souvent poussent au gaspillage par excès de prudence.
Action en Eglise
Comme chrétiens, nous avons un atout particulier, celui de pouvoir nous engager en Eglise. Par exemple : une « fête des moissons » ou de reconnaissance avec un temps de repentance pour le gaspillage alimentaire et un engagement à le combattre ; des repas d’Eglise « zéro-gaspi » ; un service de partage de nourriture en lien avec les services sociaux et la Banque Alimentaire ; un jardin d’Eglise, sur le modèle des jardins partagés qui fleurissent dans nos villes.
Notre mobilisation contre le gaspillage alimentaire va-t-elle changer le monde ? Peut-être pas… mais sait-on jamais ? En tout cas, elle nous ouvrira davantage à la générosi
té de Dieu et nous fera grandir dans le sens du partage avec nos semblables, dont nos frères et sœurs des Eglises des pays pauvres. Elle est aussi tout sauf négligeable, parce que notre Seigneur honore la fidélité dans les petites choses et fait des miracles. Souvenons-nous que, par deux fois, il a nourri des foules avec un peu de pain et quelques poissons donnés par des anonymes, avec la contribution active de ses disciples et en rendant grâces au Dieu créateur qui donne toute nourriture. Et prenant soin de ne pas laisser perdre les restes du festin : 12 corbeilles et 7 corbeilles ! (Marc 6.35-44 et 8.1-9).
(3) Selon l’INSEE, l’alimentation représentait 38 % du budget d’un ménage français en 1960 et moins de 15 % aujourd’hui.
(4) [URL]www.banquealimentaire.org[::]Site Banque Alimentaire[/URL] (5) [URL]www.restosducoeur.org[::]Site Resto du coeur[/URL] (6) [URL]www.epiceries-solidaires.org[::]Site epiceries-solidaires[/URL] (7) [URL]discosoupe.org[::]Site de discosoupe.org[/URL] (8) [URL]www.partagetonfrigo.fr[::]Site partage ton frigo[/URL] (9) [URL]www.tourdefrancedesalternatives.fr/alternatives/lutte-contre-gaspillage-lien-social[::]site tour de France des alternatives[/URL] (10)DRAAF : Direction Régionale d/e l’Alimentation l’Agriculture et de la Forêt
(11) [URL]gourmetbag.fr[::]Site de gourmetbag[/URL]