Ces biens que Dieu nous confie

 Dans Christ Seul

À MOI !

Avez-vous déjà entendu le cri singulier des mouettes dans Le monde de Némo, un film d’animation Pixar bien connu ? Avides d’avaler leur proie, elles s’attroupent en masse devant leur victime et s’exclament en chœur : « À moi ! À moi ! À moi ! » Alors qu’elles sont là, regroupées, chacune d’elles brûle d’envie d’engloutir la cible de leur désir tout en ne songeant qu’à son propre estomac. Ce cri fait sourire le spectateur qui reconnaît bien là un trait humain : soif de posséder, de conquérir, d’avoir et de se sentir en sécurité sur le plan matériel. Les temps troublés que le capitalisme traverse ne savent que trop bien révéler la fragilité de tout un système. De nombreuses personnes se tournent vers des modes de vie plus collectifs et partagés. À l’évidence : ensemble, on est plus résilients que chacun tout seul.

À LUI !

L’Évangile propose un autre récit que celui du capitalisme libéral. Les biens, la terre et tout ce qui s’y trouve (Ps 24.1), sont d’abord ceux de Dieu lui-même. Ils sont à lui avant d’appartenir à l’humanité. C’est lui qui a créé la terre, la nature et tous les éléments qui la composent. Il a donné la vie, le temps, la santé, la force de travailler ou de faire des études. Il a donné l’intelligence, l’équilibre psychique et la créativité. Le confort matériel résulte d’une abondance de ses dons pour cette génération et celles d’avant. Autrement dit, tout dépend de sa grâce. Dans le monde occidental opulent d’aujourd’hui, il est facile de l’oublier. Les dons viennent de Dieu qui les dépose entre les mains de ses disciples en espérant qu’ils les tiendront avec des mains suffisamment ouvertes pour les partager.

À NOUS !

Crédit Photo Kelly Sikkema

Si nous faisons partie des privilégiés et que nous acceptons de réorienter nos regards, nous ne manquerons pas de voir les personnes qui ont des difficultés à joindre les deux bouts en fin de mois. Si la terre appartient au Seigneur avec tout ce qu’elle contient et que l’humanité n’en est que gestionnaire, comment gérer les biens d’une manière qui l’honore ? À travers l’ensemble de la révélation biblique, Dieu invite au partage (Lc 12.21) pour accumuler des trésors durables (Mt 6.20) en pratiquant l’amour et la justice. C’est ce qu’implique une vie à la suite de Jésus.

L’apôtre Jean n’y va pas par quatre chemins et formule ceci sous la forme d’un test redoutable : celui qui affirme aimer Dieu qu’il ne voit pas alors qu’il n’aime pas son frère qu’il voit est un menteur (1Jn 4.20). L’amour ici n’est pas seulement un noble sentiment. Il engage toute la richesse de la personne dans la relation : les dons et les biens. Un chrétien ou une chrétienne mature a conscience de la provenance des biens et la sagesse d’en faire un bon usage pour elle-même et pour les autres – même quand cela lui coûte (1Co 10.24). Si la Bible ne s’oppose pas à la propriété personnelle et reconnaît les biens matériels comme des cadeaux de Dieu, elle rend aussi attentif au fait qu’ils peuvent prendre une place démesurée (Lc 16.13) et devenir des maîtres (Lc 16.13 ; Mt 6.24) ; loin de l’équilibre auquel le disciple est invité. Les prophètes avertissent de ce danger tout au long de l’Ancien Testament : l’humanité oublie trop facilement la provenance de ce qu’elle possède, et elle oublie de partager avec les plus pauvres.

Quel remède à ce fléau ? L’histoire de l’Église commence par un récit inspirant qui mentionne une générosité incroyable. La première Église a tout partagé, de sorte qu’il n’y avait « aucun nécessiteux parmi eux » (Ac 4.34). L’unité spirituelle qui régnait après la Pentecôte était telle qu’elle emportait avec elle tous les aspects de la vie des chrétiens. Les chrétiens priaient et passaient du temps ensemble, ils partageaient le pain et les biens. Le partage inspiré par l’Esprit était la partie visible de leur communion. Il était essentiel pour l’Église elle-même, et dégageait une force de témoignage visible au monde. L’amour était une expérience concrète vécue dans l’unité. Cet exemple, décrit dans des termes absolus et idéalisés, n’est pas le seul exemple de partage du Nouveau Testament. Jésus et les disciples étaient soutenus par un collectif et partageaient une bourse commune (Jn 12.4-8, 13.28-29, etc.). Les Églises se soutenaient aussi les unes les autres (2Co 8). Paul le souligne (2Co 9), le partage est le fondement même de la foi chrétienne. En Jésus, Dieu est venu se donner lui-même à l’humanité. Le partage est le fruit de la grâce reçue. Il manifeste Jésus et suit son exemple.

COMMENT VIVRE CELA CONCRÈTEMENT ?

Les textes placent le lecteur et les communautés face à des questions décisives pour la crédibilité de l’Église et pour le monde qui l’observe. Celles-ci sont le plus facilement observables dans l’Église locale : y a-t-il une diversité de niveaux socio-économiques dans la communauté ? Quelle est la place du partage des biens entre les membres de l’Église ? Se connaissent-ils suffisamment pour savoir où sont les besoins ? Vivent-ils à proximité les uns des autres ?

L’exemple houttérien est interpellant dans un monde économique qui enrichit les plus riches et appauvrit les plus pauvres. Il ose questionner un tabou : la sacralité de la propriété individuelle. Lors de leur entrée dans la communauté houttérienne (ou dans un Bruderhof), les membres choisissent de refuser la propriété personnelle pour vivre une vie de service envers Dieu et les uns pour les autres. Leurs biens personnels sont donnés à la communauté qui en devient le gestionnaire dans un esprit de simplicité, de justice et de partage. La solidarité s’exerce envers chacun, mais aussi entre les communautés. Nulle communauté n’est plus riche qu’une autre et il n’y a pas de pauvres chez eux. Trop beau pour être vrai ? C’est pourtant la réalité de 45 000 chrétiens qui partagent leurs biens depuis 500 ans.

Les mennonites, et le monde évangélique francophone, ont choisi une voie plus mesurée et moins radicale, mais la question reste posée : comment construire une unité spirituelle au sein de l’Église qui implique une solidarité matérielle ? Le défi est de taille. Si la confiance en Dieu et l’amour du prochain sont au cœur de la vie chrétienne, Mammon a le pouvoir de les détourner au profit de l’individualisme et d’un insatiable confort. Les chrétiens sont invités à entrer en résistance en partageant les biens qui leur sont confiés les uns avec les autres, et au-delà des frontières communautaires. Donner, c’est désacraliser les biens et transformer leur puissance de dieu qui isole, en lien qui réunit. Pour la gloire de Dieu.

Contactez-nous

Envoyez nous un courriel et nous vous répondrons dès que possible.

Illisible ? Changez le texte. captcha txt
0

Commencez à taper et appuyez sur Enter pour rechercher