« Je veux être une ambassadrice pour la paix ! »
Les attaques des groupes armés radicaux irréguliers et la riposte de certaines milices continuent de déstabiliser la région du Sahel au Mali, au Niger et au Burkina Faso. En 2021, il y a eu 800 attaques meurtrières dans la région, entraînant le déplacement de plus de 2,5 millions de personnes¹. Deux coups d’État ont eu lieu au Burkina Faso, le 24 janvier et le 30 septembre 2022, au moins en partie en raison de l’indignation croissante de la population face à l’insécurité permanente. Malgré les promesses et la volonté d’asseoir une transition ordonnée, les régimes rencontrent les mêmes difficultés que leurs prédécesseurs pour apporter des réponses à la violence, tant le mal est profond. Un analyste politique a comparé le Burkina Faso à une « digue » ou une « zone tampon » comprimée de toutes parts par les tentatives islamistes d’installer un califat².
Dans ce contexte, le Comité central mennonite (MCC) a cherché à « soutenir davantage d’activités de consolidation de la paix qui réparent les divisions dans les communautés et s’attaquent aux moteurs de l’extrémisme »³. L’idée d’un forum a émergé comme une première étape afin de mener une analyse approfondie du conflit.
Le Forum sur la crise sécuritaire au Burkina Faso, organisé en partenariat avec des Églises protestantes du pays, a eu lieu les 17 et 18 mai 2022. Pendant ces deux jours, environ 70 personnes de toutes les régions et de différentes sensibilités religieuses du pays ont écouté et partagé des analyses, réfléchi aux ressources et exprimé leur propre engagement à œuvrer pour la paix. Les allocutions plénières, suivies de séances de questions-réponses animées, ont alterné avec des discussions en petits groupes et de courts témoignages de plusieurs participants qui ont été particulièrement touchés par la crise.
UNE CRISE COMPLEXE
Les échanges ont vite mis en évidence que la crise sécuritaire au Burkina Faso était bien plus complexe et multiforme que ce que la plupart des participants – y compris les organisateurs – avaient compris auparavant. Des communautés vivant dans certaines localités reculées du pays deviennent de plus en plus vulnérables en raison du changement climatique qui entraîne une pénurie de ressources alimentaires. En même temps, l’absence presque totale de l’action de l’État dans ces zones alimente une profonde désillusion. Cela entraîne la croissance des conflits entre communautés locales voisines. De très importants réseaux de contrebande et de trafic (drogues, cigarettes, motos et commerce de l’or) financent également les activités terroristes, tandis que l’afflux d’armes dans la région ne fait qu’accroître les enjeux. Les idéologies islamistes ciblent les musulmans sunnites modérés et les chrétiens. Les chefs religieux qui souhaitent réagir manquent de formation en théologie de la paix et en techniques de consolidation de la paix et se sentent isolés. Pendant ce temps, la population est de plus en plus militarisée par la constitution de milices d’autodéfense.
DÉTERMINÉS À AGIR POUR LA PAIX
Après les présentations, les participants se sont demandé comment promouvoir la consolidation non violente de la paix. « Je veux être une ambassadrice de la paix ! », s’est exclamée Madame Ouattara Habibou, alors présidente du Réseau des Femmes de Foi pour la Paix au Burkina Faso (REFFOP-BF), « mais je n’ai pas reçu de formation pour être une ambassadrice de la paix ! » Les chefs traditionnels ont exprimé des préoccupations similaires, espérant une formation pour soutenir leurs efforts de négociation à la base.
Paradoxalement, bien que les témoignages et les discussions aient révélé que la crise était bien plus complexe que ne le suggèrent la plupart des récits officiels, l’espoir de trouver des solutions pacifiques au conflit a également émergé lorsque les participants ont réalisé qu’il ne s’agissait pas d’une crise inexplicable qui frappait simplement le Burkina Faso de l’extérieur. Malgré les réelles dynamiques géopolitiques externes auxquelles le Burkina est soumis, la crise est parvenue à s’enraciner ici pour des raisons locales. Comme l’a souligné de façon poignante un participant, « ce sont nos propres enfants qui sont dedans ». Le forum a fourni un espace pour commencer à envisager des solutions pacifiques.
Le MCC s’apprête à entamer dans le nord du pays un partenariat qui se concentrera sur la prévention de la radicalisation et de l’enrôlement des jeunes dans les groupes terroristes, par le biais d’un dialogue intergénérationnel et d’un soutien aux modes traditionnels de gestion des conflits. Le forum a fait prendre conscience des réalités vécues par les Burkinabè loin de la capitale, et a de l’espoir pour la collaboration et la paix.
Anicka FAST
¹UNHCR, « Decade of Sahel Conflict Leaves 2.5 Million People Displaced », Reliefweb, 14 janvier 2022, https://reliefweb.int/report/burkina-faso/ decade-sahel-conflict-leaves-25-million-people-displaced.
² Serge Carrel, Illia Djadi, « La poussée de l’islam radical en Afrique de l’Ouest et centrale », Un « R » d’actu, Radio R, 2 décembre 2021, https://radio-r.ch/radio-r/illia-djadi-a-deux-reprises-sur-un-r-dactu-pour-detailler-la-poussee-de-lislam-radical-en-afrique-de-louest-et-la-reponse-que-peuvent-y-apporter-les-eglises/
³ Plan stratégique du MCC Burkina Faso, 2020 à 2025