Passionnée pour l’unité
Pasteure et théologienne mennonite, Anne-Cathy Graber exerce un ministère itinérant et atypique. Elle partage avec nous son cheminement spirituel, inséparable de son engagement pour l’unité des chrétiens et de la famille anabaptiste mondiale.
Christ Seul : Anne-Cathy, pourrais-tu nous parler de tes origines ?
Anne-Cathy Graber : Je suis née dans une famille franco-suisse d’agriculteurs mennonites depuis plusieurs générations, dans l’est de la France, entre Montbéliard et Belfort. J’ai reçu mon éducation biblique et spirituelle dans l’Église évangélique mennonite de Belfort, où j’ai demandé le baptême à l’âge de quinze ans. J’ai été très marquée, entre autres, par la figure de mon grand-père paternel André Graber, notamment par l’importance qu’il accordait au ministère de visites des malades (étant enfant je l’accompagnais souvent… en restant dans la voiture !) et à l’engagement social, donc à la présence chrétienne dans la cité.
En résumé, quelles ont été les grandes inspirations de ta vie ?
Anne-Cathy Graber : Christ. « Christ seul », si je voulais faire un jeu de mots ! Sans doute parce que j’avance en âge, je me dis que, finalement, lui seul m’inspire vraiment. En particulier sa manière d’être pleinement humain et incarné : prendre le temps d’un repas chez celles et ceux qui n’ont pas forcément bonne réputation, changer d’itinéraire en raison de l’Évangile (« Il fallait qu’il passe par la Samarie », Jn 4.4), voir et donner de l’importance à ce qu’on ne voit pas spontanément (un grain de moutarde, les enfants, une pauvre veuve avec deux piécettes…), chercher à articuler pardon et justice… Cela m’inspire, ce qui ne veut malheureusement pas dire que je le mets en pratique. Mais c’est comme un horizon de grâce qui m’appelle et me motive.
Comment as-tu été conduite vers un engagement à vie avec la communauté du Chemin neuf ?
Anne-Cathy Graber : Je vis dans la communauté du Chemin neuf depuis quarante ans cette année. C’est un appel de l’Esprit qui ne cesse de m’étonner, mais il se décrit difficilement ! Quelques mots le disent ainsi : « Ensemble, orthodoxes, catholiques, protestants, évangéliques…, nous choisissons l’humble chemin d’une vie quotidienne partagée¹. » Autrement dit, il n’y a pas de grandes choses à voir ! Il s’agit simplement de croire et de rendre visible concrètement qu’« il n’y a qu’un seul corps, un seul esprit (…) un seul Seigneur, un seul baptême » (Ep 4.4-5) en prenant le risque du partage, de dépendre les uns des autres, de témoigner ensemble de cette marche à la suite de Christ pauvre et humble. Plus personnellement, il me semble que c’est une manière de vivre la non-violence évangélique. En ce sens, je suis davantage mennonite aujourd’hui qu’il y a quarante ans !
En quoi consiste ton ministère pastoral aujourd’hui ?
Anne-Cathy Graber : Je représente la Conférence mennonite mondiale dans plusieurs commissions œcuméniques, ce qui signifie, outre les rencontres fraternelles, un travail théologique sur certains sujets en vue de publications ou déclarations communes. Je suis aussi membre de la commission Foi et Vie de la Conférence mennonite mondiale, ce qui me met environ tous les deux mois en relation avec des réalités mennonites bien diverses (Japon, Éthiopie, Canada, Indonésie…). Je peux être appelée à prêcher ou célébrer la Cène dans tel ou tel lieu, pas toujours mennonite d’ailleurs. J’enseigne la théologie à Paris et suis chargée de mettre en lien diverses facultés (protestantes, orthodoxes, catholiques, Vaux-sur-Seine) pour travailler ensemble des sujets comme l’écologie. Moins factuellement, je réalise que ce ministère consiste à être au service de l’Évangile qui (re)met debout, rend libres et en même temps fait de nous des êtres reliés à Christ et les uns aux autres.
Quel est ton souhait le plus cher pour nos Églises ?
Anne-Cathy Graber : Mon souhait est double : que nos Églises puissent être pleinement enracinées « localement » tout en cherchant à être reliées au plus lointain, au « supralocal », c’est-à-dire aux autres communautés mennonites répandues dans le monde. Qu’elles réalisent qu’elles ne peuvent rendre témoignage à l’Évangile toutes seules, sans tenir compte des autres Églises, grâce auxquelles elles seront encore plus elles-mêmes, Églises de Paix. Autrement dit, que nos Églises se mobilisent pour que le mot « communion » signifie encore quelque chose concrètement pour elles, pour les autres, pour le monde.
Propos recueillis par Marianne Goldschmidt
¹Manifeste communautaire, 1986