Loi Veil, de l’exception à la constitutionnalisation

 Dans Christ Seul

Le 8 mars 2024, « la liberté des femmes d’avoir recours à l’IVG » a été constitutionnalisée en France. Le 26 novembre prochain, la République fêtera les 50 ans du discours de Simone Veil devant l’Assemblée nationale, visant à « apporter une solution mesurée et humaine à un des problèmes les plus difficiles de notre temps ». Le problème : la grossesse non désirée en situation de détresse. La solution : l’avortement, auquel on donnera le nom d’Interruption volontaire de grossesse (IVG), afin de mieux rassurer ceux qui ne se sentaient pas à l’aise avec le mot « avortement ».

LE DISCOURS DE 1974

Crédit photo : Wikimédia

La rhétorique politique a toujours utilisé ce genre de litote pour rendre acceptable ce qui l’est difficilement, voire pas du tout. Le discours de Madame Veil avait d’ailleurs des accents rassurants : « Si la loi n’interdit plus, elle ne crée aucun droit à l’avortement. » L’enfer, nous le savons, est « pavé de bonnes intentions ». 50 ans après les promesses de Simone Veil, il nous a donc semblé intéressant d’examiner avec soin ces bonnes intentions et ces promesses que contenait le discours du 26 novembre 1974, de la ministre de la santé. L’heure du bilan a sonné afin de comprendre comment « l’exception d’avortement », votée pour cinq ans – on l’oublie souvent –, est devenue progressivement l’une des « valeurs de la République ». Notre réflexion s’appuiera sur les déclarations mêmes de Madame Veil ; elle qui affirmait en préambule de son célèbre discours : « Aucune femme ne recourt de gaieté de cœur à l’avortement, il suffit d’écouter les femmes ; c’est toujours un drame et cela restera toujours un drame. »

UNE DÉCISION GRAVE

« Les deux entretiens que la femme aura eus [avant une décision d’avortement], ainsi que le délai de réflexion de huit jours qui lui sera imposé, ont paru indispensables pour faire prendre conscience à la femme de ce qu’il ne s’agit pas d’un acte normal ou banal, mais d’une décision grave qui ne peut être prise sans avoir pesé les conséquences et qu’il convient d’éviter à tout prix. » C’est le 2 mars 2022 que le délai légal minimum de réflexion pour les femmes mineures comme pour les majeures sera supprimé. Presque 50 ans plus tard. En ce qui concerne les entretiens pré-IVG, la loi Guigou du 4 juillet 2001 en a supprimé le caractère obligatoire pour les femmes majeures. Cet entretien, ouvert aux hommes, devait permettre aussi un espace d’écoute et de dialogue en couple. Simone Veil avait d’ailleurs reconnu que « la décision d’IVG ne devrait pas être prise par la femme seule, mais aussi par son mari ou son compagnon ». Toutefois, « le gouvernement a estimé préférable de reconnaître qu’en définitive la décision ultime ne peut être prise que par la femme (…) Le gouvernement a choisi une solution marquant clairement la responsabilité de la femme parce qu’elle est plus dissuasive ». Vraiment ?

QUELQUES DONNÉES DÉMOGRAPHIQUES

« L’adoption du projet de loi n’aura que peu d’effet sur le niveau de natalité en France, les avortements légaux remplaçant en fait les avortements clandestins ». Selon l’Institut national d’études démographiques (INED), le nombre d’IVG pour 100 naissances était de 26,7 en 2013, il est monté à 34,6 en 2022, soit 234 300 avortements contre 678 000 naissances. Dans un contexte de taux de natalité élevé, Mme Veil aurait eu raison si la natalité n’avait pas diminué et le nombre d’IVG n’avait pas augmenté. Mais ce ne fut pas le cas, puisqu’on est passé de 208 325 avortements en 1990 à 234 300 en 2022¹, et que l’indicateur conjoncturel de fécondité s’établit à 1,68 enfant par femme en 2023 alors qu’il était de 2,03 en 2010 (source : INSEE).

UN ÉCHEC OU UN DRAME

« L’interruption de grossesse ne peut être que précoce, parce que ses risques physiques et psychiques, qui ne sont jamais nuls, deviennent trop sérieux après la dixième semaine qui suit la conception pour que l’on permette aux femmes de s’y exposer. » Le délai légal a subi deux allongements, passant de dix à douze semaines, avec la loi du 4 juillet 2001, et à quatorze semaines depuis 2022. « Les risques » se seraient-ils amoindris au fil du temps ? D’autre part, la loi Veil de 1975 autorisait l’IVG pour « la femme enceinte que son état place dans une situation de détresse ». Cette notion a finalement été abandonnée en 2014.

« L’interruption de grossesse ne peut être pratiquée que par un médecin. » Depuis 2016, les sages-femmes sont habilitées à pratiquer l’IVG et depuis mars 2024 un nouveau décret leur permet de pratiquer « plus largement » les IVG instrumentales qui nécessitent un acte chirurgical, pourvu qu’au moins un médecin soit présent dans l’établissement où elles exercent.

« L’interruption de grossesse, lorsqu’elle n’est pas thérapeutique, n’a pas à être prise en charge par la sécurité sociale (…) Il nous a paru nécessaire de souligner la gravité d’un acte qui doit rester exceptionnel. » C’est à l’occasion du vote de la loi de financement de la Sécurité sociale pour l’année 2013, que les parlementaires voteront en faveur du remboursement à 100 % des IVG par l’Assurance maladie, laissant de côté les objectifs de prise de conscience de la gravité de l’acte d’avortement.

« Personne n’a jamais contesté que l’avortement soit un échec quand il n’est pas un drame. » C’était très certainement incontestable en 1974, pourquoi cela ne serait-il plus le cas aujourd’hui ?

UNE LIBERTÉ CONSTITUTIONNELLE

Enfin, Madame Veil terminait son célèbre discours avec ces mots : « Sachons faire confiance à la jeunesse pour conserver à la vie sa valeur suprême. » Madame Veil s’est trompée. L’histoire du droit à l’IVG en France témoigne clairement de l’effacement de « la valeur suprême de la vie » au profit d’une autre valeur qui n’a cessé de croître en 50 ans : la liberté. Mais pas n’importe laquelle ! Celle qui se résume par la célèbre formule du planning familial : « Mon corps, mes choix, mes droits ! » C’est elle que le président a voulu constitutionnaliser… pour les femmes seulement. À cette liberté qui hurle ses droits, ne s’impose aucune limite, oublie autrui et ignore ses devoirs, osons encore relayer une autre voix qui est amour et solidarité et qui s’adresse autant aux hommes qu’aux femmes : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même.² » C’est ici la voix de la vie ! Écoutons-la !

 

¹ https://drees.solidarites-sante.gouv.fr/publications-communique-de-presse/etudes-et-resultats/le-nombre-des-interruptions-volontaires-de#:~:text=En%202022%2C%20234%20300%20interruptions%20volontaires%20de%20grossesse,de%20soins%20des%20femmes%20ayant%20r%C3%A9alis%C3%A9%20une%20IVG.

² Lévitique 19.18 ; Matthieu 22.39

 

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