500 ans des Réformes : quelle(s) réforme(s) aujourd’hui ?

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Premier article de la série d’articles publiés sur ce blog pendant toute l’année 2017, par différents auteurs.

J’ai découvert le courant anabaptiste lors de mes études de théologie. Je connaissais les Eglises mennonites de Suisse et de France. Certains aspects de leurs pratiques me semblaient intéressants, d’autres m’apparaissaient comme exotiques mais sans grande portée. L’impression d’Eglises un peu molles… si j’ose dire.

Ma vision a gagné en profondeur lorsque j’ai eu l’occasion d’approfondir les convictions assumées par les anabaptistes pacifiques du 16e siècle faisant partie de la « Réforme radicale ». J’ai découvert qu’à l’arrière-plan d’Eglises mennonites un peu installées se trouvait, pour qui fait l’effort de s’y pencher, des convictions remarquables. Et surtout, des convictions qui expriment une lecture de la Bible et une compréhension de l’Evangile cohérentes, des convictions pertinentes pour aujourd’hui.

Stuart Murray, théologien anabaptiste britannique, est l’auteur du livre Radicalement chrétien – Eléments essentiels de la démarche anabaptiste (références ci-dessous). Il y présente sept convictions portées par le Réseau anabaptiste en Grande-Bretagne, une manière d’actualiser les accents de l’héritage anabaptiste pour notre temps.

Face à la question proposée « quelle(s) réforme(s) aujourd’hui », je voudrais reprendre ces sept convictions et les commenter. Elles forment un ensemble qui, selon moi, indiquent des voies de réformes à explorer, encore et toujours, par les Eglises mennonites d’abord, par les Eglises évangéliques ensuite, par toute Eglise enfin…

 

Conviction n° 1

« Jésus est notre exemple, notre enseignant, notre ami, notre rédempteur et notre Seigneur. Il est la source de notre vie, le point de référence central de notre foi et de notre style de vie, de notre compréhension de l’Eglise et de notre engagement dans la société. Nous nous engageons à suivre Jésus et à l’adorer. »

 

L’homme Jésus dont la vie et les manières sont décrites dans les évangiles, l’homme Jésus dont l’enseignement y est consigné, est paradoxalement négligé par les chrétiens et les Eglises ! Un peu comme si le Fils de Dieu dans sa toute-puissance avait éclipsé le modèle de vie. Lors de visites de 30 célébrations chrétiennes de toutes confessions et dénominations en 2014, cette absence m’a frappé à de multiples reprises. La pente est forte, encouragée par une sorte de religiosité estampillée chrétienne, de faire de Jésus l’objet d’un culte certes, mais déconnecté de Jésus comme exemple concret inspirant les choix de vie.

C’est parce que l’homme de Nazareth est reconnu comme Seigneur, comme Fils de Dieu, comme Dieu, que son enseignement et sa vie font autorité. Si Dieu s’est vraiment incarné dans cet homme particulier, alors la moindre de ses parole, le moindre de ses gestes, prennent une portée énorme !

Pour que nos contemporains associent « Eglise » à « Jésus », et non à autre chose…, les Eglises doivent se pencher à nouveaux frais, et continuellement, sur l’homme qu’il a été. Développer une passion pour l’homme Jésus – avec ses traits de génie et  ses côtés dérangeants – parce qu’il est Dieu.

Cela peut se traduire par exemple dans la prédication et la priorité à accorder aux évangiles, sans négliger pour autant le reste de la Bible.

 

Conviction n° 2

« Jésus est le point de convergence de la révélation de Dieu. Nous défendons une approche de la Bible centrée sur Jésus. De même, notre approche de la communauté des croyants est, elle aussi, centrée sur Jésus. Nous considérons cette communauté comme le contexte privilégié dans lequel nous lisons la Bible, discernons ses implications pour la vie de disciple, et les mettons en pratique. »

 

Il n’y a pas d’autres voies de réformes que de passer par la Bible, toujours à nouveau. « L’expérience » a le vent en poupe aujourd’hui, avec le risque de la mettre au même niveau d’importance que la Bible. Au 16e siècle, le Sola Scriptura [l’Ecriture seule] a fonctionné comme une critique de la combinaison « Bible et Tradition ». Dans le contexte postmoderne (où tout n’est pas mauvais), le Sola Scriptura est l’instrument critique de la combinaison  « Bible et Expérience ». L’expérience doit être passée au crible de l’Ecriture, interprétée en fonction de l’homme-Dieu Jésus.

Les Ecritures sont le moyen que l’Eglise s’est donnée pour se laisser critiquer, pour se laisser réformer. La Bible est certes porteuse d’une parole de consolation et d’espérance, pour tant de personnes qui souffrent et de tant de manières. Mais elle a une fonction critique également, surtout pour les chrétiens bien installés que nous sommes majoritairement en Occident, souvent silencieux face aux injustices et aux guerres, ouvertes ou soigneusement cachées par les pouvoirs en place. Acceptons-nous que la Bible nous critique ?

Dans le passé, des chrétiens ont légitimé en toute bonne conscience l’esclavage par la Bible. Avec le recul, leur manière de lire la Bible semble impossible, inimaginable, inacceptable. Et si nous aussi nous risquions de ne pas voir ce que la Bible dénonce, gros comme une poutre devant nos yeux, aveuglés que nous sommes par le confort et le conformisme ambiants ?

En matière de prédication, cela peut se traduire par le fait de prêcher sur les textes dérangeants et décapants, chez les prophètes ou chez Jésus par exemple.

 

Conviction n° 3

« La culture occidentale émerge lentement de l’ère de la chrétienté où l’Eglise et l’Etat gouvernaient ensemble une société dans laquelle on partait du principe que presque tout le monde était chrétien. Quelles que soient ses contributions positives aux valeurs et aux institutions, la chrétienté a sérieusement déformé l’Evangile, marginalisé Jésus, et a laissé les Eglises mal équipées pour la mission dans une culture post-chrétienne. En réfléchissant à ce sujet, nous nous engageons à apprendre de l’expérience et des points de vue de mouvement tels que l’anabaptisme qui ont rejeté les présupposés usuels de la chrétienté et ont recherché d’autres manières de penser et de se comporter. »

 

La défense de « l’héritage chrétien » pour fermer les frontières de l’Europe ou d’un pays est l’un des vestiges de la chrétienté, même dans un pays se revendiquant de la laïcité comme la France. C’est encore plus vrai ailleurs, lorsque des chrétiens affirment une « destinée manifeste » pour telle nation soi-disant chrétienne ou dont on rêve qu’elle soit chrétienne. Imaginez : des réfugiés, à bout économiquement ou fuyant la guerre, frappent à la porte de l’Europe. Ils entendent de la part de chrétiens : « Non, nous ne pouvons vous ouvrir, car nous voulons garder notre identité chrétienne dans notre pays. » Et eux de penser : « Ah c’est ça, les chrétiens ! »

Heureusement, des communautés chrétiennes se mobilisent pour accueillir et accompagner. Les difficultés d’intégration ne doivent pas être un prétexte pour renoncer. Comment voudrions-nous être traités si nous nous retrouvions avec une maison détruite, un demi-repas par jour, un avenir bouché et que nous prenions la décision de migrer ?

La réforme dans ce domaine passe par un changement de mentalité, mentalité accordant la priorité à l’appartenance nationale ou à la défense de pays plus ou moins « chrétiens ». Chrétiens, nous sommes les citoyens d’autre chose d’abord que de notre pays : le Royaume de Dieu, transnational. L’appartenance nationale et tout ce qui la protège est seconde, car les valeurs du Royaume de Dieu ont priorité pour les chrétiens et l’Eglise. L’enjeu est le témoignage crédible de l’Eglise, en actes.

Choisir de rencontrer des réfugiés, apprendre à les connaître, par le biais de telle association, peut être l’occasion de s’exposer à une autre réalité, à un autre point de vue.

 

Conviction n° 4

« L’association fréquente de l’Eglise avec un statut privilégié, la richesse et la force n’est pas appropriée pour les disciples de Jésus et nuit à leur témoignage. Nous nous engageons à explorer les façons d’être une bonne nouvelle pour les pauvres, les démunis et ceux qui sont persécutés, conscients qu’une telle vie de disciple peut susciter l’opposition, inclure de la souffrance et parfois, en dernier recours, mener au martyre. »

 

Nos Eglises ne semblent ni particulièrement riches ni privilégiées. Elles sont parfois petites en nombres et faibles en ressources. Si les finances le permettaient, elles feraient plus et mieux, dans bien des domaines. On peut se demander si cette conviction n’a pas grand-chose à nous dire dans le contexte des Eglises évangéliques minoritaires en France.

Pourtant, il y a peut-être malgré tout matière à réflexion. Sans être riches et privilégiées, nos Eglises réunissent essentiellement des personnes de classe moyenne et elles peinent parfois à accueillir, à rejoindre et à accompagner des personnes de milieux sociaux défavorisés. Pourquoi ? Comment y travailler ?

« Etre une bonne nouvelle pour les pauvres » : il ne s’agit pas de proposer l’évangile de la prospérité ni l’opium de la consolation de la vie éternelle, sans impact dans le présent. Mais de faire des pas en direction de communautés chrétiennes où l’on met en œuvre des manières de partager économiquement, au niveau local ou mondial. Je pense au Fonds de partage de la Conférence Mennonite Mondiale. Les Eglises plus riches (du Nord) donnent en faveur des Eglises plus pauvres (du Sud). Le Fond transmet des sommes, et les Eglises qui les reçoivent sont libres de décider de l’usage de l’argent reçu. Voilà l’exemple, au niveau mondial et au sein d’une dénomination, d’une pratique qui s’inscrit dans l’esprit du Jubilé (Lv 25), de manière adaptée à notre temps.

La réforme dépend ici de la volonté de prendre au sérieux la vocation de l’Eglise à être une communauté où « celui qui avait beaucoup n’avait rien de trop et celui qui avait peu ne manquait de rien » (2Co 8.15). Le chantier est vaste… Peut-on imaginer des manières concrètes d’aller dans ce sens localement ?

 

Conviction n° 5

« Les Eglises sont appelées à être des communautés engagées, orientées vers la vie de disciple et la mission, des lieux empreints d’amitié, de redevabilité mutuelle et où le culte permet l’expression d’une pluralité de voix. En mangeant ensemble, partageant le pain et le vin, nous entretenons l’espérance en recherchant ensemble le royaume de Dieu. Nous nous engageons à développer et à entretenir de telles Eglises, dans lesquelles jeunes et vieux sont mis en valeur, la direction est consultative, les rôles sont liés aux dons plutôt qu’au fait d’être homme ou femme, et le baptême est réservé aux croyants. »

 

Considérer l’Eglise comme une communauté de personnes rassemblées et reliées a de nombreuses implications, telles qu’une large participation des uns et des autres, des ministères réellement au service de la communauté, une manière relationnelle et sociale de vivre l’Eglise, les actes symboliques, la prédication, les prises de décision, etc. Tout cela inclut, il faut le dire, de vivre et de traverser des conflits, ce qui se travaille et s’apprend.

Mais le contexte d’individualisme, de consumérisme religieux ou de dispersion géographique, de même que la peur des conflits et la lassitude relationnelle, entraînent loin d’une telle vie communautaire.

Sans ignorer ces difficultés, l’enjeu est d’accorder une priorité à une telle vie communautaire, contexte et condition pour l’incarnation de l’Evangile dans une forme sociale qui s’appelle l’Eglise quand elle est signe du royaume de Dieu. Si on entre certes dans l’Eglise un à un, on s’y retrouve d’emblée avec des frères et des sœurs avec qui faire Eglise.

La voie de la réforme passe par un nouvel engagement en faveur de la vie communautaire de l’Eglise, de manière réaliste mais claire. Elle passe aussi parfois par une seconde naïveté, qui a surmonté la déception inévitable, mais qui est prête à recommencer de manière plus lucide, sur soi, sur les autres, sur l’Eglise… Qui est d’accord de participer à nouveau ou encore à tel groupe de maison et d’y apporter sa contribution vers davantage de partage relationnel ?

 

Conviction n° 6

« La spiritualité et l’économie sont reliées entre elles. Dans une culture individualiste et consumériste, et dans un monde où sévit l’injustice, nous nous engageons à trouver des façons de vivre simplement, de partager généreusement, de prendre soin de la création et de travailler pour la justice. »

 

Cette conviction renvoie à l’importance d’une manière de vivre au quotidien qui soit l’expression d’une recherche de justice économique. Quelle place occupent les biens et les richesses dans nos esprits, dans notre mentalité, dans nos choix ? Dieu ou Mammon, c’est l’alternative radicale posée par Jésus… (Mt 6.24) et l’on comprend alors la puissance et la fascination de ce qui prend la place de Dieu…

La mentalité consumériste nous imprègne davantage que nous ne le pensons, en matière de déplacement, de vacances, d’achats, de confort, de facilités, etc. Explorer des styles de vie simples ou simplifiés, désacraliser l’argent par le don, adopter des comportements « création-responsable » ouvre des champs de réflexion et d’action passionnants et compliqués.

La voie de la réforme passe par la compréhension de la nécessité d’un témoignage incarné, qui concerne l’éthique chrétienne relative à l’argent et à l’économie. Est-ce prioritaire dans notre manière de concevoir la vie chrétienne ? Avons-nous vraiment besoin de plus et de mieux ?

 

Conviction n° 7

« La paix est au centre de l’Evangile. En tant que disciples de Jésus dans un monde divisé et violent, nous nous engageons à trouver des solutions non-violentes et à apprendre comment faire la paix entre individus, à l’intérieur des Eglises et entre elles, dans la société et entre les nations. »

 

La paix (shalom) est l’autre nom du « Royaume de Dieu ». Etre artisans de paix, c’est œuvrer pour ce Royaume. Les chrétiens devraient être connus pour leurs capacités à bâtir des ponts, à mettre du liant, à dénoncer les politiques de haine et de guerre qui divisent et causent tant de dommages dans une spirale sans fin… Leur action pour la paix fait écho à l’action de leur Maître qui, par le don de soi, a brisé la spirale et a fait la paix entre ceux qui étaient éloignés les uns des autres (Eph 2).

Tout cela s’apprend si on le veut bien, si on y accorde la priorité. La « modeste proposition pour la paix » du Mennonite Central Committee reste d’actualité dans ses implications directes et indirectes : « Que les chrétiens du monde entier s’accordent à ne pas s’entretuer. »

La réforme commence par la prise de conscience de la centralité de la paix et du Royaume de Dieu. Dire non à la guerre et à tout ce qui la prépare, dire oui à la paix et à tout ce qui la promeut. Elle continue par la nécessité, pour les disciples du Christ, de garder la paix bien chevillée au corps de  Celui qui lui a donné son vrai visage.

Qui s’inscrit à une formation à la non-violence évangélique et à la résolution des conflits ?

 

Michel Sommer, rédacteur de Christ Seul, animateur théologique au Centre de Formation du Bienenberg

 

 

Post-scriptum 1

En bref, ces convictions et ces voies de réformes reposent sur l’idée suivante : « Que l’Eglise soit l’Eglise ! »

 

Post-scriptum 2

Ce programme de réformes implique une prise de conscience et un engagement suscités par Dieu et son Esprit. Ce programme implique aussi la force de l’Esprit de Jésus rendant possible de le mettre en œuvre et de s’y tenir… Peut-être ce rôle du Saint-Esprit pourrait-il être davantage mentionné dans les sept convictions du livre ci-dessous.

 

 

Pour aller plus loin…

Stuart Murray, Radicalement chrétien – Eléments essentiels de la démarche anabaptiste, Excelsis et Talwogne, collection Perspectives anabaptistes, Charols et Les Ponts-de-Martel, 2013, 200 pages

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