De la chrétienté à la postchrétienté – Interview de Stuart Murray
Stuart Murray est un théologien britannique et implanteur d’église, d’origine baptiste, qui a découvert en la vision anabaptiste une ressource utile pour les Eglises aujourd’hui. Le prochain Dossier de Christ Seul, de sa plume, sur le thème de la postchrétienté, est un essai d’analyse du contexte occidental actuel, afin de renouveler la manière d’y être en mission. Interview.
Christ Seul : A quels signes peut-on dire que la chrétienté est en voie de disparition ?
Stuart Murray : Si la chrétienté signifie, parmi d’autres choses, un partenariat entre église et état, ce lien a été rompu dans la plupart des pays occidentaux. Si la chrétienté signifie que des nations sont identifiées comme « chrétiennes » et d’autres comme des « champs missionnaires », c’est une approche anachronique. Si la chrétienté signifie que l’Église exerce de manière claire une autorité morale et spirituelle sur la société, cela est en train de disparaître. Beaucoup de vestiges de la chrétienté resteront visibles dans un avenir proche, mais leur pouvoir a disparu.
CS : A quels signes peut-on dire que nous sommes en postchrétienté ?
Stuart Murray : Comme le montrent tous les indicateurs (croyances, fréquentation des églises, nombre de membres, pratiques), la communauté chrétienne est en déclin numérique et constitue aujourd’hui une minorité parmi les minorités, dans une société plurielle composée de sécularisme et de diverses spiritualités. Parmi les jeunes en particulier, une méconnaissance grandissante du christianisme, de son langage et de son imagerie, indique que nous avons changé d’ère. Le pluralisme de la plupart des sociétés occidentales et l’absence d’un grand récit de référence indiquent que nous sommes entrés dans une période nouvelle.
CS : Quels sont les dangers pour l’Eglise en postchrétienté ?
Stuart Murray : En tant que minorité qui était auparavant une majorité, l’Eglise fait face à la tentation du désespoir, du défaitisme, de la perte de courage, de l’introspection, de la plainte et de l’agressivité. Et puis, il serait suicidaire de mettre toute l’énergie sur la préservation des acquis et sur le fonctionnement interne plutôt que sur la mission. L’espoir à tout prix d’un « réveil » empêche aussi une réflexion approfondie et courageuse sur les nouvelles réalités. Le manque de partage des ressources conduit à l’épuisement de ce qui existe encore, alors que ces ressources pourraient être mieux utilisées. Penser que des changements superficiels rendant les Eglises plus attractives seront efficaces nous dispense d’avoir un engagement théologique et missionnel plus profond.
CS : Quelles sont les chances pour l’Eglise en postchrétienté ?
Stuart Murray : L’Eglise peut redécouvrir ce que cela signifie d’être une minorité créative et prophétique. Elle peut se mettre à expérimenter, à prendre des risques, à devenir résolument « bonne nouvelle pour les pauvres » et les sans-pouvoir, à retrouver le sens du discipulat en tant que disciples du Jésus radical que la chrétienté a rendu facilement acceptable. L’Eglise peut apprendre à collaborer avec des personnes d’autres religions ou sans religion, pour servir la population locale, être accueillie et accueillante, sans besoin de dominer. L’Eglise peut se débarrasser de pratiques qui ont défiguré l’Eglise de la chrétienté, comme par exemple le cléricalisme et une hiérarchie inutile, et elle peut renoncer aux compromissions avec la richesse, le pouvoir et un statut social. L’Eglise peut saisir l’occasion de devenir, sans besoin de se justifier, une « Eglise de paix » dans un monde violent et en conflit.
CS : En tant que membres d’Eglises mennonites ou évangéliques en France, nous sommes habitués au fait d’être une minorité et à la marge. La postchrétienté est-elle alors vraiment une question pour ces Eglises et si oui, en quoi ?
Stuart Murray : Les Eglises ayant une histoire en tant que minorités devraient être mieux préparées à vivre la postchrétienté que d’autres. Mais certaines sont trop marquées par ce qu’elles ne sont pas (pas une Eglise d’état, pas une Eglise majoritaire) et ont besoin de découvrir une identité positive en tant que minorité, si elles veulent fleurir dans cette nouvelle époque. Ceux qui ont expérimenté le fait d’être à la marge peuvent aider d’autres à gérer les défis et les possibilités qui sont devant nous. La vision anabaptiste peut être une ressource très utile, si nous avons le courage de la vivre pleinement et de faire face à cette situation de marginalité.
Traduction : Michel Sommer
LES MOTS POUR LE DIRE
Chrétienté : arrangement politique dans leque l’église et l’état se soutiennent et se légitiment, cherchant à rendre une société chrétienne par des lois ou par la contrainte. Cela peut devenir une idéologie et une vision de l’action de Dieu dans le monde.
Postchrétienté : culture qui émerge lorsque la foi chrétienne perd sa force de cohésion dans une société façonnée par l’histoire chrétienne et où décline l’influence des institutions qui exprimaient les convictions chrétiennes. La postchrétienté implique sept transitions pour les églises et les chrétiens :
– du centre vers les marges,
– de majoritaires à minoritaires,
– de colons à étrangers de passage,
– des privilèges accordés au christianisme au pluralisme social,
– du contrôle social au témoignage,
– de la préservation du statu quo à la mission,
– de l’institution au mouvement.
Pour aller plus loin…
Quand l’Eglise n’est plus au centre du village… Par Stuart Murray
Dossier de Christ Seul 3/2017, Editions Mennonites, Montbéliard, 2018, 88 pages
« Ce livre parle du monde de la postchrétienté, où le christianisme n’a plus rien d’évident. L’auteur propose des voies pour une mission renouvelée à l’égard d’un monde que Dieu ne se lasse pas d’aimer. » (Frédéric de Coninck, 4e page de couverture)