Être Église à la campagne

 Dans Christ Seul

Je suis un citadin, j’aime la ville et me voici à écrire sur les Églises dans le monde rural… Je crois à l’importance pour les Églises et leur stratégie missionnaire de penser aux villes, de s’y installer, de ne pas fuir les villes comme autant de lieux de perdition…

LE MONDE RURAL

Mais il est temps aussi de valoriser la présence et le témoignage des Églises dans le monde rural. Dans un article récent, Pierre Maignial, pasteur d’une Église évangélique de la Fédération baptiste à Mirecourt dans les Vosges, plaide pour une compréhension du contexte de ruralité profonde (à distinguer de la ruralité de surface) où les mentalités traditionnelles perdurent. Celles-ci se manifestent souvent par l’autodépréciation (ou alors à l’inverse la fierté), la méfiance envers la nouveauté et les influences extérieures, la puissance du qu’en-dira-t-on, le fonctionnement en temps long.

A cela s’ajoutent les caractéristiques générales du monde rural : vieillissement de la population, déclin économique, désengagement de l’État…. Si ce panorama est plutôt déprimant, il est surtout important de comprendre plus en profondeur ce qui s’y joue. Auteur d’un livre sur les Églises rurales, primé en 2018 par le magazine Christianity Today, Brad Roth, pasteur mennonite dans l’état du Kansas aux états-Unis, estime que « le mot «’’rural’’ ne désigne pas seulement une population. C’est une manière de voir le monde. »

SYNDROME DU BOCAL

Dans le monde monde rural en France, la majorité des Églises évangéliques sont d’implantation relativement récente (moins de 30-40 ans), selon Pierre Maignial. Certaines des Églises mennonites en France ou en Suisse en contexte rural font exception à cet égard, en raison de leur histoire. Les Églises de la ruralité forment souvent « de petites structures, qui pâtissent d’une faiblesse numérique chronique ». Lorsqu’on est 15 membres par exemple, le fonctionnement de l’Église est lourd, y compris financier si l’on paie un ministère même partiellement. Les jeunes quittent souvent la région. Le contexte ne permet guère d’espérer une croissance numérique substantielle… Ce qui peut donner lieu à ce que Pierre Maignial appelle le « syndrome du bocal » : un fonctionnement en vase clos, en circuit fermé, soit par la force des choses soit par fatigue.

Le pasteur baptiste souligne encore la modestie des moyens humains des Églises rurales : modestie financière, modestie des compétences humaines. Tout cela empêche ces Églises de fonctionner selon la culture d’entreprise, modèle implicite ou explicite fréquent de la croissance des Églises urbaines.

FAIBLESSES ET ATOUTS

Ces constats peuvent sembler décourageants. C’est vrai. Peut-être faut-il que les citadins en prennent d’abord la mesure, par compréhension et solidarité. Car il peut arriver que les Églises rurales souffrent d’acédie (mal-être, négligence, indifférence) selon Brad Roth : le sentiment que tout ce que l’on fait est insignifiant et sans but.

Mais les Églises rurales ont aussi des atouts : la forte mobilisation des membres, la réactivité dans l’urgence, la souplesse de fonctionnement, une « beauté morale » selon Brad Roth (ce qui n’exclut pas des « ombres morales »). Pour Pierre Maignial, peut-être faut-il considérer les Églises de la ruralité profonde comme des laboratoires de spiritualité profonde : de l’authenticité dans des relations vraies, un vécu commun à long terme, la priorité des relations sur les activités, la persévérance dans la durée, l’exposition de l’Église et des chrétiens au regard de tous…

APPRENDRE DES ÉGLISES RURALES

En fait, les Églises en contexte rural interrogent à leur manière certaines tendances actuelles : la culture d’entreprise débridée, les stratégies d’évangélisation ou d’implantations d’Églises basées sur les chiffres ou les fruits, la bougeotte en matière d’Églises, la mentalité de consommateurs, satisfaits ou remboursés, appliquée à la vie d’Église… Peut-être les chrétiens citadins ont-ils à apprendre des chrétiens ruraux, en matière de fidélité plutôt que de succès ou de résultats.

En ce sens, la présence d’Églises évangéliques et mennonites dans des lieux ruraux, comme aussi de paroisses catholiques ou protestantes, est un signe important.

AVENIR

Quel avenir pour les Églises en ruralité profonde ? Il peut arriver qu’il faille apprendre à mourir et à accompagner ce processus douloureux. L’histoire mennonite en sait un peu quelque chose. D’autres fois, l’invitation est à persévérer jusqu’au temps de Dieu. Pour Brad Roth, la croissance est possible en milieu rural, à son niveau, ce qui demande d’aimer son lieu, les gens de son lieu, de les écouter en profondeur, d’en devenir les amis, d’être ouvert aux nouveaux venus, d’oser du neuf par la créativité adaptée au contexte…

Il serait erroné de figer les différences entre monde rural et monde urbain, surtout à l’époque de la mondialisation. Mais peut-être pouvons-nous tous redécouvrir la promesse et l’engagement de Dieu d’être avec tous les peuples, partout, et de se tenir auprès de toute personne en tout lieu, même reculé. Pour la réconciliation des citadins et des ruraux, avec Lui et entre eux.

Pour aller plus loin…

• Pierre Maignial, « Le pasteur en milieu rural », in : Les Cahiers de l’Ecole pastoralen° 108, 2e trim. 2018, p.  61-77 ou en ligne : www.publicroire.com/cahiers-ecole-pastorale/ministere-pastoral/article/le-pasteur-en-milieu-rural

• Brad Roth, God’s Country – Faith, Hope, and the Future of the Rural Church, Harrisonburg, Herald Press, 2017.

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