Banians et Bananiers ou comment former des responsables
Quand j’entends l’expression « leader charismatique » à propos d’une personnalité de l’Église, je suis mal à l’aise. Serait-ce mon vieux fond anabaptiste… ? Mais, dans mes lectures, je note aussi que célébrité ne rime pas forcément avec authenticité évangélique.
FORMER DES DISCIPLES OU DES LEADERS ?
Christopher Wright, directeur de Langham Partnership¹, écrivait en 2015 à propos des leaders chrétiens : « Les Églises aiment se donner des dirigeants populaires, célèbres, pour pouvoir se vanter des retombées de gloire de leur renommé pasteur. C’est comme ça que l’idolâtrie du succès et de la célébrité peut devenir un cercle vicieux, sorte de connivence réciproque entre l’ambition d’autoglorification du leader et les fanfaronnades d’autosatisfaction de ceux qui le suivent². »
Wright le souligne : dans l’Église , le processus de formation semble plus axé sur la formation des leaders que sur celle des disciples. Pour lui, selon les Écritures, la priorité est de faire des disciples. Il incombe ensuite, parmi ceux qui montrent toutes les qualités du disciple, de reconnaître qui aura les qualités de leader. Toute autre démarche conduit à suivre les modèles de leadership du monde, alors que Jésus avait veillé à mettre ses disciples en garde.
FORMER POUR SON CLOCHER OU POUR L’ÉGLISE ?
Plus de 20 ans auparavant, Paul Hiebert dénonçait un autre travers dans la mission, celui de former des disciples de sa propre cause, de son propre clocher, plutôt que de former des leaders pour l’Église. Missionnaire en Inde et fin observateur de la culture, Hiebert en avait retiré quelque sagesse³.
« Rien ne pousse sous un banian⁴. » Ce proverbe de l’Inde du sud illustre les différents styles de leadership. Arbre immense, le banian étale ses branches très loin, il a des racines aériennes, il peut développer un tronc secondaire. Il y en a partout en Inde. Adulte, il peut couvrir un demi-hectare. Oiseaux, animaux, humains trouvent abri sous son ombre. Mais rien ne pousse sous son feuillage dense, et quand il meurt, le sol reste sec et stérile.
Le bananier est tout l’opposé : six mois après sa sortie de terre, de petits rejets surgissent tout autour de lui. À 12 mois, un second cycle de pousses apparaît à côté des premières qui ont maintenant six mois. À 18 mois, le tronc principal commence à donner des bananes qui nourrissent des oiseaux, des animaux et des gens, et puis il meurt. Mais les premières pousses secondaires ont assez grandi et dans six mois, elles porteront du fruit et mourront à leur tour. Et le cycle continue : de nouvelles pousses apparaissent tous les six mois, grandissent, donnent naissance à de nouvelles pousses, portent du fruit et meurent.
QUELS DISCIPLES ?
Beaucoup de leaders sont comme des banians. Ils ont un ministère formidable, spectaculaire, mais le jour où ils s’en vont, il n’y a pas de relève, car ils avaient formé des disciples de leur propre cause, des suiveurs et non des responsables.
Il est gratifiant de se faire des disciples. Leur admiration nous fait nous sentir importants. Ils imitent nos manies, ils ne remettent pas en question notre ligne de pensée et ne cherchent pas à aller au-delà de ce que nous enseignons.
Il est facile de former de tels disciples. Nous décidons de ce qu’ils doivent savoir et comment ils devraient l’apprendre. Nous les encourageons à poser des questions, mais nous leur donnons nos réponses. Nous leur enseignons à suivre nos directives et à deviner nos intentions…
Former de tels disciples procure un succès rapide. Il est facile d’en mobiliser plusieurs pour exécuter nos programmes. C’est une approche efficace.
FORMER DES RESPONSABLES
Former des responsables est moins gratifiant pour notre ego. Il faut enseigner à penser et à décider par soi-même, à remettre en question nos croyances et à discuter nos décisions. À la relève, ils nous dépasseront et s’attribueront le mérite de leur croissance et de leurs réussites.
Former des responsables est plus difficile. Il faut apprécier leur avis et les encourager à passer au crible toutes nos paroles. Nous devons les noter non selon leur degré d’accord avec nous, mais plutôt selon l’étendue de leur réflexion personnelle. Nous ne leur demandons pas d’aller au devant de nos vœux, nous évitons de les rabaisser, même si leurs opinions semblent naïves ou simplistes. Nous devons nous concentrer sur les problèmes qu’ils doivent résoudre, plutôt que sur des procédures toutes faites à appliquer.
Former des responsables est moins efficace à première vue. Il faut négocier les décisions, constamment changer les plans, revoir les emplois du temps et les objectifs. Mais c’est plus efficace à long terme. Notre récompense sera d’être entourés de jeunes responsables qui découvrent leurs propres capacités, assument de nouvelles responsabilités et n’attendent que le moment d’aller au-delà de ce que nous avons nous-mêmes atteint.
Paul écrit : « Et ce que tu as entendu de moi en présence de beaucoup de témoins, confie-le à des gens dignes de confiance qui seront capables, à leur tour, de l’enseigner à d’autres. » (2Tm 2.2)
Notes
1. Christopher Wright, https://uk.langham.org, auteur aussi du récent La mission de Dieu, Charols, Excelsis, 2012.
2. « Humility, Integrity, and Simplicity », International Bulletin of Missionary Research, vol. 39, 2015, n° 4.
3. Paul Hiebert, Anthropological reflections on missiological issues, Grand Rapids, Baker Books, 1994, p. 173 à 175.
4. Figuier de l’Inde : ses branches émettent des racines aériennes qui descendent jusqu’au sol et s’y développent, fournissant à l’arbre soutien et nourriture (Larousse).