La violence cachée des débats inégaux

 Dans Christ Seul

On pense, aujourd’hui, que le débat, les échanges, sont des moyens majeurs pour que chacun s’exprime, donne son opinion, argumente et que, de la sorte, on puisse arriver à des décisions justes et partagées. On critique, à l’inverse, les passages à l’acte, les affrontements brutaux et les groupes qui refusent de dialoguer en s’enfermant dans leur petit monde.

LE CRI DU PAUVRE

Partons de ce passage du livre de l’Exode : « Si tu prends en gage le manteau de ton prochain, tu le lui rendras pour le coucher du soleil, car c’est là sa seule couverture, le manteau qui protège sa peau. Dans quoi se coucherait-il ? Et s’il arrivait qu’il crie vers moi, je l’entendrais, car je suis compatissant, moi » (Ex 22.25-26). Voilà : le pauvre crie. Il n’est pas en état d’élever une protestation bien formée, en usant d’arguments subtils. Il n’en est pas là : il a froid et il crie. Et c’est là un langage que Dieu agrée plus volontiers que les « bonnes raisons » que le prêteur peut dérouler pour justifier de ne pas rendre le manteau gagé pour la nuit.

Or, nous considérons facilement qu’un cri de colère est plus violent qu’un argument froid, rationnel et sans compassion (pour reprendre le mot du livre de l’Exode) qui explique à quelqu’un qu’il n’a rien à faire là où il est.

LES ZONES AVEUGLES DES RAISONNEMENTS TECHNIQUES

Crédit photo : Atenna Cw

J’ai fréquenté, pendant toute ma carrière, des ingénieurs : en tant qu’enseignant dans une école, dans des enquêtes de terrain dans des entreprises, dans des établissements publics d’aménagement, en écoutant des projets d’innovation. Peu d’entre eux étaient vraiment cyniques. Mais peu d’entre eux, également, mesuraient à quel point leur discours était étriqué, fermé à des arguments moins rationnels et à d’autres points de vue. Ils pensaient, pratiquement toujours, que leur compétence technique leur donnait le meilleur point de vue et que tous leurs opposants étaient victimes de préjugés, de manque de hauteur de vue ou étaient mus par des intérêts inavouables.

Or il y avait souvent de la vérité dans ces contrepropositions, souvent mal exposées, esquissées avec passion et désordre. Le tout était de tenter d’en comprendre la valeur et le sens.

C’EST À CELUI QUI EST EN POSITION DE FORCE D’ESSAYER DE COMPRENDRE LE POINT DE VUE DU FAIBLE

Cette question avait déjà une actualité dans l’Église primitive où certains considéraient que la « connaissance » qu’ils avaient leur donnait, par principe, raison. Mais, écrit Paul, « c’est un devoir, pour nous les forts (…) de ne pas rechercher ce qui nous plaît » (Rm 15.1).

Je suis, d’ailleurs, toujours admiratif de la manière dont Paul a argumenté dans ses discours publics ou dans ses épîtres. Il était virulent et décidé, mais il situait toujours ses arguments à un niveau où son interlocuteur avait la possibilité de lui répondre. Il cherchait un langage commun où l’égalité de parole pouvait être assurée. Quand on voit de quelles ressources rhétoriques il s’est privé, à l’occasion, cela fait réfléchir. Un vrai débat n’est pas un match qui se joue au « meilleur argument », c’est un lieu où l’on essaye de voir jusqu’où on peut comprendre les motivations de l’autre et construire quelque chose avec lui.

C’est cela le shalom.

 

 

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