Déraciné

 Dans Christ Seul

Daniel fait partie des jeunes juifs déportés à Babylone après la prise de Jérusalem par le roi Nabuchodonosor en 605 avant Jésus-Christ. Sa condition d’exilé nous parle de la nôtre.

La Bible décrit un Dieu dont la relation avec les affaires humaines est étroitement liée à l’expérience et au processus de migration. On pourrait même affirmer que le récit biblique n’aurait aucun sens sans ceux-ci. En lisant les Écritures, plusieurs pistes de lecture s’offrent à nous. Trois fils conducteurs se dessinent : les desseins de Yahweh se déploient à plusieurs reprises dans l’expérience de la migration ; la plupart des principaux agents de Dieu subissent différents types de déracinement ; la migration apparaît comme une métaphore de la vie de foi.

UNE HISTOIRE DE MIGRANTS

Le fait qu’elle soit la cheville ouvrière du récit biblique conduit Andrew F. Walls¹à suggérer que le livre de la Genèse devrait s’intituler « livre des migrations » car il en contient à peu près tous les archétypes : fugitifs (Jacob), esclaves (Joseph), victimes de la famine (frères de Joseph), travailleurs migrants, commerçants, envahisseurs, prisonniers de guerre, déportés et rapatriés. Adam est expulsé de l’Éden, Caïn est condamné à errer et vagabonder sur la terre et une catastrophe écologique va transformer toute créature vivante, Noé y compris, en réfugié. Avec Babel, projet antimigration, Dieu contrecarre le dessein impérial de l’humanité en disséminant les créatures pour préserver la diversité culturelle. Puis, le nomade Abram obéit à l’appel divin de quitter la Mésopotamie, acte pour lequel il a été désigné comme modèle de foi. L’histoire continue dans l’Exode où c’est en tant que réfugié migrant que Moïse se tiendra devant le buisson ardent. C’est d’ailleurs aux sans-terre que les dix commandements seront donnés.

DÉPLACÉS

Crédit photo : Julie Ricard

Le déplacement et le déracinement se répètent souvent, comme c’est le cas avec Moïse, Joseph, Néhémie, Esther, et Daniel dans le contexte plus large de l’empire. La politique étrangère babylonienne favorise la prise des meilleurs au détriment des plus humbles (Dn 1.3-4). Aujourd’hui, il en va de même pour les États modernes qui recrutent activement et accueillent fièrement ingénieurs et médecins immigrés du monde entier, tandis que les femmes de ménage et les ouvriers restent invisibles et perçus comme un fardeau pour la société. En tant que mineur non accompagné, Daniel est l’exemple d’un migrant enlevé de force. Difficile d’imaginer le traumatisme qu’il éprouve – de la perte complète de sa famille, ses amis, sa communauté.

QUELLE IDENTITÉ ?

Les empires exigent l’allégeance par l’assimilation culturelle, religieuse et politique. Daniel est inscrit à un programme de formation conçu pour servir les intérêts de la haute cour de l’empire. Lui et ses amis reçoivent des noms babyloniens, apprennent une nouvelle langue, étudient la littérature babylonienne, se voient offrir des aliments différents – tous les éléments importants de l’identité culturelle et religieuse.

Pour Daniel, comme pour d’innombrables personnages bibliques, la migration est aussi une « expérience théologisante ». Le déracinement peut conduire à des crises d’identité religieuse : une prise de distance qui peut aboutir à une perte ou un rejet de la foi ; une conversion ou une intensification des expériences religieuses ; une transformation de la foi. Ces trois processus sont visibles dans la vie de Daniel. En tant qu’homme d’État immigrant, il est obligé de discerner le niveau justifiable d’assimilation à la culture babylonienne. Il conserve son régime alimentaire, jeûne et refuse de prier les idoles. À cause de ces pratiques contre-culturelles, sa vie est à plusieurs reprises menacée, et pourtant Dieu l’utilise comme témoin auprès de quatre rois et deux empires.

LE CHRÉTIEN, CET ÉTRANGER

Les changements géographiques sont une manière de migrer, mais le déracinement ne nécessite pas de déplacement physique. Au fond, Daniel nous rappelle que l’identité migratoire est incontournable dans la vie chrétienne. C’est l’espace dans lequel nous devons nous situer et l’esprit dans lequel nous devons demeurer, aussi inconfortables soient-ils. Cette identité, et les ruptures, risques et vulnérabilités qui y sont associés, sont essentiels pour entendre la voix de Dieu, déterminer notre rapport à la culture et témoigner de notre propre transformation en contribuant à celle des structures de pouvoir en place

 

¹ Andrew F. Walls, «Mission and migration: the diaspora factor in Christian history» », Journal of African Christian Thought 5 (2), 2002, p. 2.

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